Senghor et les Arts

Par Chiara Carbonnet – 17 novembre 2023

Léopold Sédar Senghor (1906-2001) a profondément marqué l’histoire intellectuelle, culturelle et politique du XXe siècle. Poète, président du Sénégal de 1960 à 1980, il est aussi connu comme celui qui, aux côtés des intellectuels Jane et Paulette Nardal, Suzanne et Aimé Césaire, a été un des animateurs du mouvement de la négritude, ainsi qu’un défenseur de la francophonie.

Dans cette exposition, on découvre la politique et diplomatie culturelle initiées par Senghor au lendemain de l’indépendance du Sénégal ou encore ses réalisations majeures dans le domaine des arts ainsi que ses limites. Je m’abstiendrai ici à faire une peinture grossière de ce que vous pouvez trouver au sein de cette exposition, afin de vous donner envie (peut être) d’en découvrir plus.

C’est à partir des années 1930 que Senghor commence son parcours intellectuel et politique avec pour ambition de faire « entrer le peuple noir sur la grande scène de l’histoire ». Ce début d’exposition apporte une grande importance aux femmes de lettres et militantes martiniquaises Jane et Paulette Nardal qui ont fondé (avec Léo Sajous) la « Revue du Monde Noir » (1930) qui s’inscrit dans la construction de l’internationalisme noir des années 1930. Cela est intéressant puisque souvent, la revue de Aimé Césaire et Senghor « L’Etudiant Noir » (1935) est mise en avant comme point de départ déterminant du mouvement et met « sous le tapis » ces autrices qui ont été déterminantes dans le lancement du mouvement de reconnaissance de la diaspora africaine. L’exposition rappelle toutefois que cette revue est l’un des premiers engagements direct de Senghor.

La négritude intellectuelle portée par Senghor dans l’entre-deux-guerres prend une dimension politique à partir de 1960 puisqu’il devient président du Sénégal. Senghor adopte alors une réelle politique culturelle, inédite parmi les pays africains nouvellement indépendants. Cette politique se manifeste notamment à travers le Premier Festival mondial des arts nègres présidé par Senghor à Dakar en 1966, l’inauguration de la manufacture nationale de tapisserie de Thiès ou encore l’ouverture du Musée dynamique à Dakar. Ce deuxième point de l’exposition est assez pertinent puisqu’il met en avant l’histoire de la reconnaissance culturelle africaine sur le sol africain même.

La négritude est pour Senghor, un enracinement dans les valeurs et civilisations du monde noir. Il proclame la négritude « humanisme du XXe siècle » et lance à travers cela un appel au métissage culturel pour lutter contre les replis identitaires et les impérialismes. Ainsi, des artistes venus d’Europe et d’Asie soutiennent ce mouvement et viennent exposer leurs œuvres au Sénégal. Ils illustrent dans le même temps l’œuvre poétique de Senghor, publiée dans le recueil Chants d’ombre.

La fin de l’exposition s’oriente vers les dissidences qu’a crée la pensée de Senghor. En effet, l’artiste Issa Samb, connu aussi sous le nom de Joe Ouakam, formé à l’Institut national des arts du Sénégal (école crée à l’initiative de Senghor) critique l’institutionnalisation de l’art au Sénégal et refuse que ses œuvres illustrent la négritude et son idéologie politique. Aussi, en 1974 il brule ses toiles retenues pour l’exposition « Arts sénégalais d’aujourd’hui » au Grand Palais. La même année, il fonde à Dakar le laboratoire Agit’Art, encore actif aujourd’hui. Ce point sur les dissidences du mouvement est intéressant mais beaucoup trop court. En effet, les critiques de Issa Samb sont très peu développées et réduisent sa pensée critique à uniquement un refus d’idéologie politique que porte le mouvement de la négritude, or cela est plus complexe.

Par ailleurs, à titre personnel, j’aurai aimé que l’exposition aborde davantage les dissidences mais aussi les critiques reçues par le mouvement de La Négritude. Je pense notamment à Sartre et Fanon qui ont critiqué ce mouvement comme un instrument de récupération du néocolonialisme à la fin des années 1950. Je vous réfère au livre de Frantz Fanon – Peau noir, masques blancs, si vous souhaitez en savoir plus.

Senghor et les arts – à découvrir au Musée du Quai Branly jusqu’au 19 novembre 2023

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